Substitution des PFAS et application du concept d’utilisation essentielle

En raison de l’extrême persistance des substances per- et polyfluoroalkyles (PFAS) et des risques associés, la déclaration de Madrid plaide pour l’arrêt de leurs utilisations lorsqu’elles ne sont pas jugées essentielles ou lorsque des alternatives plus sûres existent. Néanmoins, il n’est pas toujours facile de déterminer quel usage peut être considéré comme essentiel.

Pour rappel, les PFAS forment un groupe d’au moins 4700 contaminants organiques d’origine humaine que l’on trouve de manière ubiquitaire dans l’environnement. Sur la base des préoccupations concernant leur forte persistance et le manque de connaissances sur les structures chimiques, les propriétés, les utilisations et les profils toxicologiques de la plupart des PFAS actuellement utilisés, plus de 200 scientifiques ont fait valoir dans la Déclaration de Madrid que leur production et utilisation devraient être limitées.

A partir de ce constat, une méthode envisageable est de développer des catégories distinctes en fonction des différents niveaux d’essentialité. Ainsi, un groupe international de chercheurs propose de supprimer progressivement l’utilisation des substances per- et polyfluoroalkyles, selon que les produits chimiques présentent des propriétés nécessaires pour la santé et la sécurité. Cette équipe propose de classer les produits en trois catégories :

  1. Non essentielles : Utilisations qui ne sont pas essentielles pour la santé, la sécurité ou le fonctionnement de la société. L’utilisation des PFAS est principalement motivée par les opportunités du marché et peut donc être progressivement supprimée ou interdite. Exemples : fil dentaire, short de surf déperlant, fart de ski, poêle antiadhésive, … Il s’agit d’utilisation « agréable à avoir ».
  2. Substituables : Utilisations considérées comme essentielles parce qu’elles remplissent des fonctions importantes, mais pour lesquelles il existe des alternatives proposant une fonctionnalité équivalente et des performances adéquates, ce qui fait que l’utilisation des PFAS n’est plus essentielle. C’est par exemple le cas pour certains textiles résistants à l’eau et la plupart des extincteurs de type B.
  3. Essentielles : Utilisations considérées comme essentielles parce qu’elles sont nécessaires pour la santé ou la sécurité ou à d’autres fins très importantes et pour lesquelles des alternatives ne sont pas encore établie. Il s’agit par exemple de certains dispositifs médicaux ou vêtements de protection professionnelle. Notons cependant que cette essentialité ne doit pas être considérée comme permanente. Il faut plutôt une pression constante pour rechercher des alternatives afin de faire passer ces utilisations dans la catégorie 2 ci-dessus.

La mise en œuvre de ce cadre conceptuel peut cependant donner lieu à des « zones grises », dans lesquelles il n’est pas simple d’attribuer une utilisation à une catégorie particulière. Par exemple, une zone grise pourrait apparaître entre les catégories 1 et 2 parce que certaines utilisations des PFAS peuvent être considérées comme agréables par certains et nécessaires par d’autres. De même, une zone grise pourrait apparaître entre les catégories 2 et 3 parce que la disponibilité et les performances des alternatives sont débattues (par exemple, les extincteurs utilisés par l’armée pour éteindre les feux de carburant). Afin d’éviter ou de réduire ces « zones grises », des critères clairs et des processus pertinents doivent encore être définis.

Illustration par quelques exemples

Les produits de soins et cosmétiques : L’utilisation de certains PFAS dans ces produits peut entraîner une exposition directe de l’homme et des effets potentiels sur la santé à la suite d’une absorption cutanée ou orale. Or, ils ne semblent pas remplir une fonction technique vraiment nécessaire. Après une récente campagne menée par une ONG suédoise pour faire connaître la présence de PFAS dans certains produits cosmétiques, il a été relativement facile pour plusieurs grands détaillants et marques de cosmétiques d’annoncer rapidement la suppression progressive des PFAS, par exemple L’Oréal, H&M, Lumene, The Body Shop, Isadora et Kicks. Cette utilisation rentre donc dans la catégorie 1.

Hydrofuges et antitaches durables dans les textiles : La répulsion liquide dans les produits textiles peut aller d’une propriété facultative « agréable à avoir » dans les vêtements du quotidien à une protection essentielle nécessaire dans les vêtements de protection professionnelle. Il a été démontré que les répulsifs durables à l’eau non fluorés offrent une déperlance élevée, égale à celle des polymères fluorés et qu’ils constituent des substituts appropriés aux vêtements d’extérieur des consommateurs. En effet, un certain nombre de grandes marques proposent déjà des vestes d’extérieur déperlantes commercialisées sous le nom de « sans fluor » par exemple. Toutefois, dans le cas de certains liquides comme l’huile d’olive par exemple, seuls les polymères fluorés semblent offrir une protection efficace. Par ailleurs, les textiles médicaux sont un exemple de cas où les normes techniques visant à protéger des vies humaines exigent un certain niveau de performance qui peut être difficile à atteindre sans l’utilisation de PFAS. La même situation se pose pour les normes de performances des vêtements de protection des pompiers et autres intervenants d’urgence en matière de déperlance, de résistance aux huiles et aux taches et de respirabilité. Pour résumé, dans la plupart des cas, les répulsifs durables à l’eau relèvent de la catégorie 1 ou 2. Seul quelques utilisation sont à classer dans la catégorie 3.

Matériaux en contact avec les aliments (emballages alimentaires, équipements de production industrielles, ustensiles de cuisine, …) : Malgré les assurances données par l’industrie chimique que les produits fluorés sont sûrs, on craint que les PFAS migrent dans les aliments et nuisent à la santé humaine. Prenons l’exemple des papiers et carton traités pour résister à la graisse (les emballages de fast-food par notamment). Des alternatives non fluorées ont toujours été disponibles pour toutes les applications d’emballage alimentaire en papier et en carton et l’utilisation de revêtements de protection fluorés n’a jamais été essentielle (catégorie 1). Par exemple, COOP, un important détaillant en épicerie au Danemark, a trouvé des alternatives pour tous les produits qui utilisaient auparavant des PFAS. Pour les poêles antiadhésives, il existe également des alternatives non fluorées qui ont montré leur efficacité.

Source :

Chemicals and engineering news. How to say goodbye to PFAS. [en ligne] disponible sur : https://cen.acs.org/environment/persistent-pollutants/say-goodbye-PFAS/97/i46. Consulté le 18/01/2021.

Ian T.Cousins et al. The concept of essential use for determining when uses of PFASs can be phased out. Environ. Sci.: Processes Impacts, 2019,21, 1803-1815