Le pacte vert pour l’Europe – European Green Deal -, lancé en décembre 2019 vise notamment à rendre l’économie de l’Union européenne durable. L’ambition « zéro pollution » pour un environnement exempt de substances toxiques y est clairement affichée. C’est pour répondre à cet objectif que la Commission européenne s’est engagée à présenter une stratégie durable dans le domaine des produits chimiques – Chemical strategy for susbtainability – à l’automne 2020.
But de la stratégie européenne sur les produits chimiques
Cette stratégie vise à réduire les risques liés à la production et à l’utilisation de produits chimiques dangereux, et ainsi à mieux protéger les citoyens et l’environnement tout en encourageant l’innovation pour le développement de solutions de substitution sûres et durables. Cet objectif pourra être atteint en simplifiant et en renforçant le cadre juridique. La Commission examinera les modes de collaboration possibles entre les agences et organismes scientifiques de l’Union, afin d’instaurer un processus d’évaluation des substances par une seule et unique agence. Le cadre réglementaire devra aussi être adapté pour identifier les manques dans les différentes législations européennes qui encadrent les produits chimiques et prendre en compte les preuves scientifiques sur le risque posé par les perturbateurs endocriniens (PE), les substances chimiques dangereuses dans les produits (y compris importés), les effets combinés de différentes substances chimiques, même à faibles doses, et les effets de diverses catégories de produits chimiques, telles que les substances chimiques très persistantes, et celles nouvellement identifiées persistantes, mobiles et toxiques (PMT) .
Elaboration de la stratégie en plusieurs étapes
- du 11 mai au 20 juin 2020 : une consultation du public sur la feuille de route présentant la stratégie a été organisée par la Commission.
La feuille de route affiche des ambitions encourageantes, mais elle énonce aussi des généralités et ne présente aucune action concrète. A la lecture du constat alarmant qui est rappelé concernant la proportion de substances chimiques dangereuses pour la santé produite en Europe (soit 74%) et le nombre croissant de ces substances, y compris très persistantes, retrouvées dans le sang, les tissus humains et les écosystèmes, nous attendons des engagements beaucoup plus forts, plus concrets, et surtout plus contraignants pour les acteurs de l’industrie et de la chimie tout au long de la chaîne d’approvisionnement.
- les 25 et 29 juin 2020 : une première réunion de la Commission environnement pour voter les amendements et les amendements dits « de compromis » sur le projet de résolution sur la stratégie durable en matière de produits chimiques a été organisée. Une seconde s’est ensuite tenue pour voter l’ensemble du projet de résolution sur la base des amendements retenus lors de la réunion du 25 juin.
Retrouvez ici l’appel lancé par les ONG pour interpeller les élus qui nous représentent au Parlement.
- le 10 juillet 2020 : le Parlement européen a adopté une résolution à une large majorité (579 voix pour, 18 contre et 84 abstentions) sur la stratégie de l’Union sur les produits chimiques, établissant un programme détaillé pour la Commission européenne.
Rappelons que l’objectif principal de cette résolution est de placer la protection de notre santé et de l’environnement au premier plan de la future législation sur les produits chimiques. Les eurodéputés demandent notamment à la Commission de :
- combler les failles de la législation existantes afin d‘assurer un meilleur fonctionnement du règlement Reach ;
- mettre en place un cadre global sur les perturbateurs endocriniens, et mettre enfin à jour et sans délais son cadre législatif (législation sur les jouets, les matériaux en contact avec les aliments et les cosmétiques) afin e traiter les PE au même titre que les substances cancérigènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction ;
- prendre des mesures réglementaires pour protéger les groupes vulnérables (enfants, femmes enceintes et allaitantes, personnes âgées) ;
- appliquer le principe de précaution et celui du pollueur payeur ;
- améliorer la transparence lors des processus d’approbation ;
- encourager la mise au point de solutions sûres et durables de façon compétitive (engagement à garantir des fonds pour la recherche) et encourager des alternatives non chimiques sûres ;
- soutenir le principe « une substance – une évaluation du risque » par une seule agence de l’UE, afin de gagner en temps et en efficacité.
A la mi-octobre, la stratégie durable dans le domaine des produits chimique devrait être publiée. En raison de la crise sanitaire de la COVID-19, l’adoption de la stratégie pourrait être retardée.
La stratégie au coeur de vifs débat
Dans les faits, c’est à la direction générale chargée de l’environnement (DG Environnement) au sein de la Commission que revient la mission d’élaborer cette stratégie. Or, nous avons appris que son contenu était débattu, notamment entre la DG Environnement et la direction générale chargée du marché unique, de l’industrie, de l’entrepreneuriat et des petites entreprises (DG Grow), présidée par le français Thierry Breton.
Plusieurs médias, dont le quotidien Le Monde, ont accédé au projet de texte amendé et commenté par la DG Grow qui cherche explicitement à vider de sa substance la stratégie. Les commentaires formulés visent principalement à sauvegarder les intérêts économiques des entreprises, à minimiser les preuves scientifiques existantes sur les effets sur la santé et l’environnement d’un nombre important de produits chimiques présentes sur le marché européen, et à freiner l’adoption de mesures en faveur de la santé publique.
Plus précisément, il est suggéré de :
- reprendre l’introduction qualifiée de « très négative »et retirer toutes allusions à la dangerosité des substances chimiques en insistant sur leurs effets bénéfiques ;
- remplacer le concept de « hiérarchie sans toxiques »visant à éliminer les substances les plus dangereuses, par l’approche « smart regulation» qui vise essentiellement à réduire les charges administratives pour les entreprises. Selon cette approche, les substances extrêmement préoccupantes seront remplacées lorsque cela sera techniquement et économiquement possible ;
- remettre en cause le plan d’action en six points visant à éliminer progressivement les utilisations non essentielles des PFAS;
- remettre en question l’adoption d’un cadre complet sur les PE, pour seulement « envisager » de définir les critères PE pour les matériaux en contact avec les aliments, les cosmétiques ou les additifs alimentaires ;
- ou encore, s’opposer à la proposition d’évaluer les mélanges afin de tenir compte des effets combinés des produits chimiques.
L’Alliance pour la santé et l’environnement (HEAL), dont Générations Futures est membre, a immédiatement réagi en publiant un communiqué afin de dénoncer ces agissements et vient d’adresser au vice-président de la Commission européenne en charge du Pacte vert, Frans Timmermans, une lettre conjointe signée par une dizaine d’ONG afin d’alerter sur ce lobbying.
« Générations Futures est pleinement engagée auprès des associations qui dénoncent ces agissements. Nous ne découvrons pas les pratiques de lobbying interne à la Commission, mais nous en avons ici la preuve écrite. Nous attendons de la Commission qu’elle respecte les engagements et les ambitions affichées dans le cadre du Green Deal. Elle ne doit pas manquer l’occasion de changer de cap et de faire primer la santé humaine et l’environnement dans la future stratégie », déclare Fleur Gorre, chargée de la campagne sur les polluants chimiques chez Générations Futures.