Le scandale des boues rouges du site industriel de Gardanne sur grand écran

 

Ce mercredi 11 août sort le film « Rouge », retraçant les trajectoires d’une infirmière employée dans la même usine chimique que son père, délégué syndical, confrontés aux effets sanitaires et écologiques provoqués par l’activité de cette usine qui els fait vivre. Entre mensonges sur les rejets toxiques et dossiers médicaux des salariés falsifiés, cette fiction nous fait revenir sur un véritable scandale français : les rejets des boues rouges toxiques du site industriel de Gardanne dans la mer Méditerranée pendant plus de 40 ans. Elle permet aussi de parler des conditions de travail et de l’état de santé des travailleurs qui sont généralement les premières victimes de procédés industriels toxiques et dangereux.

Retour sur les rejets et le stockage des boues rouges toxiques

Le site industriel de Gardanne, installé dans les Bouches-du-Rhône depuis 1894 est le plus grand producteur au monde d’alumines. Ce matériau aussi connu sous le nom d’oxyde d’aluminium, se présente sous la forme d’une poudre blanche qui entre dans la composition des écrans LSD, de composants électroniques, de carrelages, de batteries, de vitres de smartphones, etc. Le processus de fabrication de cette poudre extraite de la bauxite génère d’importantes quantités de déchets contenant de la silice, du titane, de l’aluminium et de l’hydroxyde de fer (donnant la couleur rouge aux boues).

Après avoir stocké ces boues rouges dans des bassins de rétention pendant des dizaines d’années, l’usine Altéo les a rejetés directement dans la mer, au cœur du parc national des Calanques de Cassis. Ainsi, de 1966 à 2016, une canalisation de plus de 50 km (dont plus de 7 km sous la mer) a acheminé près de 30 millions de tonnes boues rouges[1]  dans le canyon sous-marin de Cassidaigne.

Le 1er janvier 2016, l’arrêté préfectoral pris en 1996 en lien avec la convention de Barcelone pour la protection de la Méditerranée met fin aux rejets. Néanmoins, l’usine Aléto a obtenu une dérogation pour prolonger de six ans les déversements industriels dans la Méditerannée, non plus des boues, mais des rejets liquides des boues rouges ultrabasique.

Comme le souligne un collectif rassemblant la LPO, Agir pour la biodiversité, Humanité et Biodiversité, WWF, la Fondation Nicolas Hulot et Surfrider, dans un communiqué « au lieu de l’arrêt promis des boues rouges fin décembre 2015, on nous propose une prolongation pendant 6 ans des rejets liquides chimiques ne respectant pas les normes de la convention de Barcelone de 1998, concernant les éléments toxiques : arsenic (17 fois les normes), sélénium, aluminium, fer, titane, plomb, thorium et uranium (radioactifs), mercure, cadmium, chrome, dont certains sont des métaux qu’il sera bientôt préférable de récupérer. »

Le collectif d’associations environnementales a pourtant alerté le Premier ministre en 2015 dans une lettre ouverte précisant les ravages causés par ces rejets industriels gravement toxiques pour la faune et la flore marine dans une mer Méditerranée déjà très fortement polluée. Les comités scientifiques de l’usine et les pouvoirs publics ont longtemps soutenu que les boues rouges n’étaient pas toxiques. Mais plusieurs études réalisées notamment par l’Ifremer démontrent la toxicité des boues[2]. Le Premier ministre de l’époque, Manuel Valls, n’a tenu rigueur d’aucun de ces faits en ordonnant au préfet d’approuver la continuité des rejets liquides au cœur du parc national des Calanques a des taux plus élevés que ceux prévus par la réglementation relative aux émissions des ICPE, malgré l’opposition de la ministre de l’Environnement. L’usine est donc autorisée de déroger aux valeurs limites d’émission concernant 6 paramètres polluants (arsenic, aluminium, fer, pH, DBO5 et DCO).

Mais en juillet 2018, le tribunal abroge l’autorisation préfectorale et les rejets devront cesser au 31 décembre 2019. Le tribunal administratif impose à Altéo une mise aux normes. Depuis le mois de septembre 2020, le traitement du rejet permet à l’industriel de se conformer définitivement aux normes.

Par ailleurs, depuis l’interdiction des rejets solides en mer en 2016, Altéo a repris le stockage à terre de centaines de tonnes de boues rouges déshydratées dans l’usine de Mange-Garri dans la commune voisine de Gardanne. Ce stockage en plein air provoque une pollution environnementale considérable en raison de la dispersion de poussières rouges dans les airs et expose les riverains à des particules toxiques. L’autorisation de déposer les boues rouges à Mange-Garri a pris fin en juin 2021. L’entreprise Altéo en redressement judiciaire a été rachetée par le groupe UMS qui prévoit l’abandon de l’extraction de la bauxite, il ne sera donc plus fournisseur de boues rouges.

« Les autorités françaises ont permis en toute connaissance de cause à cette entreprise de poursuivre délibérément ses activités polluantes au mépris de la santé humaine, de la faune, la flore et la biodiversité marine. La mise aux normes du rejet n’est qu’une étape et ne doit constituer une fin en soi. Plusieurs associations de défense de l’environnement impliquées sur ce dossier, prônent à juste titre un arrêt définitif des effluents expédiés en mer et qu’une enquête publique sur l’étendue et les conséquences de cette pollution soit effectuée. De plus, la question de la gestion du site de stockage de Mange-Garri, de son impact sur l’environnement et sur la santé des riverains et des travailleurs doit être traitée sans attendre. Le principe pollueur payeur doit s’appliquer » déclare Fleur Gorre, chargée de campagne chez Générations Futures.

[1] http://www.calanques-parcnational.fr/fr/pollutions/rejets-en-mer-effluents-usine-gardanne-alteo-boues-rouges

[2] https://reporterre.net/Les-boues-rouges-empoisonnent-La