Pour la première fois en France, des chercheurs de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE), en collaboration avec le Syndicat national des entreprises de traitement de l’eau (Synteau), ont évalué les impacts potentiels d’une centaine de micropolluants sur la santé humaine et les milieux aquatiques rejetés par les stations d’épuration françaises.
Rappelons que le terme « micropolluant » désigne des substances organiques ou minérales qui peuvent avoir une action toxique à très faible dose sur les organismes vivants (de l’ordre du µg/L au ng/L). Deux grandes familles de micropolluants sont a distinguer :
- Les micropolluants organiques : d’origine naturelle (hormones, etc.) ou anthropique (hormones de synthèse, cosmétiques, détergents, solvants, plastifiants, résidus pharmaceutiques)
- Les micropolluants inorganiques : les métaux (cadmium, plomb, etc.) et métalloïdes (arsenic, etc.)
Le traitement des eaux usées en France est très imparfait et l’élimination des micropolluants incomplète. En effet, les rejets d’origine humaine, agricole, industrielle, pharmaceutique, hospitalière ne sont que partiellement traités par les stations d’épuration et de nombreuses substances sont toujours présentes sous la forme de micropolluants dans les eaux rejetées dans l’environnement ou par déversement des eaux pluviales.
Dans le cadre de cette étude publiée en novembre dernier, 286 micropolluants organiques et inorganiques ont été sélectionnés pour l’analyse. Les chercheurs se sont basés sur la liste des micropolluants classés prioritaires dans le cadre de la législation européenne pour la surveillance des micropolluants dans les milieux aquatiques (41 molécules) et sur des études alertant sur les dangers des substances émergentes tels que certains produits pharmaceutiques. Les impacts potentiels de 88 molécules ont été évalués.
Les résultats de cette étude montrent que certains micropolluants ont un impact sur le milieu aquatique, en particulier des pesticides, des hydrocarbures, des résidus de médicaments, des hormones ou encore des métaux tels que le cuivre, le zinc ou l’aluminium. Ces micropolluants peuvent avoir un impact sur l’environnement à très basse concentration.
Plus précisément, les substances organiques qui contribuent le plus aux impacts sur les milieux aquatiques sont :
- des pesticides (cyperméthrine, isodrine) ;
- des acaricides (aclonifène) ;
- un PCB interdit depuis 1987 (PCB-101) ;
- une hormone (bêta-estradiol) ;
- un antibiotique (amoxicilline) ;
- un retardateur de flamme retiré progressivement du marché depuis 2011 (1,2,5,6,910-HBCDD).
Cette étude a ainsi permis d’évaluer le nombre moyen d’espèces aquatiques potentiellement disparues du fait de 88 substances organiques ayant pu être caractérisées par les chercheurs. Ce nombre a été évalué à une espèce disparue tous les 10 ans environ.
L’impact sur la santé humaine est plus difficile à évaluer en raison des multiples sources d’exposition à ces molécules tout au long de la vie ou encore de phénomènes, tel que l’antibiorésistance qui peut réduire l’efficacité de certains traitements. L’impact des micropolluants inorganiques (les métaux), tels que l’arsenic, le zinc, ou l’aluminium a pu être observé sur les milieux aquatiques et sur la santé humaine à des valeurs relativement fortes. Il reste toutefois difficile d’évaluer l’impact toxique des effluents de station d’épuration, ces éléments étant aussi naturellement présents dans l’environnement.
En outre, cette étude montre qu’il est impossible d’évaluer de manière exhaustive les impacts de l’ensemble des micropolluants présents dans les eaux usées tant leur nombre croit, chaque année, avec la mise sur le marché de nouvelles substances.
L’Agence européenne des produits chimiques dénombrait l’existence de plus 20.000 substances chimiques au 31 mai 2018.
Les chercheurs ont tout de même pu estimer à 146 tonnes le rejet annuel national en sortie de station d’épuration de 153 micropolluants organiques dont la concentration dans les rejets était connue.
Quelle stratégie pour réduire les micropolluants dans l’environnement ?
Les actions de réduction à la source du nombre et de la quantité de produits utilisés sont indispensables et certaines interdictions d’usage en amont des stations d’épuration existent déjà. Néanmoins, certaines substances réglementées, voire interdites, comme les PCB, sont encore présentes dans les effluents de station d’épuration en raison de leur extrême persistance. La question de traitements dédiés dans les stations d’épuration en complément des actions de réduction à la source est donc absolument nécessaire.
La mise en place de traitement à large spectre sur les stations d’épuration (comme en Suisse) pour traiter les rejets de ces substances par les populations doit être programmée. Des technologies efficaces existent. Quant aux surcoûts engendrés par les dépenses d’investissement et d’exploitation, ils seraient compris entre 5 et 15 euros par personne et par an.
Appel pour une meilleure réglementation européenne des micropolluants dans les eaux usées
Le 15 février dernier, le Baltic Sea Centre de l’Université de Stockholm dénonçait le manque de prise en compte de cette question à l’échelle de l’Union européenne (UE).
L’ambition affichée par la Commission européenne en matière de zéro pollution à l’horizon 2030, dans le cadre du pacte vert pour l’Europe, la récente publication de la Stratégie durable sur les produits chimiques et la possible révision de la directive sur le traitement des eaux usées urbaines offrent autant d’opportunité pour traiter la question de la gestion des micropolluants dans les eaux usées et faire évoluer la réglementation existante. Des mesures visant à prévenir les émissions de micropolluants par des usines de traitement des eaux usées sont indispensables, en amont et en aval, afin d’assurer la cohérence des politiques entre la législation européenne sur l’eau et celle sur les produits chimiques.