Huit ans après la mise en place du registre R-nano, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, l’environnement et du travail (Anses) a réalisé une évaluation approfondie de la qualité des données déclarées et de l’exploitation de ces données par des organismes de santé publique. Ce travail a mis en lumière de profonds dysfonctionnements dans la déclaration des plus de 400.000 tonnes de nanomatériaux qui sont produites ou importées en France chaque année.
Du fait de leurs propriétés particulières et leurs multiples applications, les nanomatériaux sont incorporés dans une large gamme de produits de consommation courante. On les retrouve dans l’alimentation, les cosmétiques, les produits d’hygiène, les textiles, les emballages alimentaires, les peintures, etc. Or, la dissémination de plus en plus massive de ces nanomatériaux soulève des interrogations vis-à-vis des de leurs effets sur la santé et l’environnement, notamment du fait de leur capacité à passer les barrières physiologiques, leur taille facilitant leur pénétration dans l’organisme.
A titre exemple, le dioxyde de titane (E171), un additif de taille nanoparticulaire utilisé comme colorant blanchisseur dans de très nombreux produits du quotidien est interdit en France dans les denrées alimentaires depuis le 1er janvier 2020. La suspension de l’importation et la mise sur le marché du E171, classe depuis 2016 comme cancérogène probable par le Centre international de recherche sur le cancer, est valable pour un an, renouvelable le cas échéant, le temps de lever ou non les incertitudes sur son innocuité. En dépit du fait que l’utilisation d’un colorant soit dans tous les cas non essentielle, l’innocuité de l’additif E171 n’est toujours pas prouvée. Par ailleurs, une récente étude démontre que les nanoparticules de dioxyde de titane peuvent traverser le placenta chez la femme enceinte et atteindre le foetus.
La France pionnière dans la déclaration des nanomatériaux, mais les données collectées sont inexploitables
La France est le premier pays doté d’un système de déclaration des nanomatériaux. Chaque année, depuis 2013, les fabricants, importateurs et distributeurs de plus de 100 grammes par an de substances à l’état nanoparticulaire, ont l’obligation de déclarer les quantités et les usages de nanomatériaux dans le registre R-Nano. Sont entendues par « substance à l’état nanoparticulaire », toute substance fabriquée intentionnellement à l’échelle nanométrique contenant des particules non liées ou sous forme d’agrégat ou d’agglomérat, dont 50% des particules, présentent une dimension située entre 1 nm et 100 nm.
En raison des fortes incertitudes sur les risques que présentent les nanomatériaux pour la santé et l’environnement, la France a mis en place ce système de déclaration afin d’assurer la traçabilité et l’information du public.
Or, le rapport d’évaluation de l’Anses publié le 1er décembre 2020, nous apprend que sur les 52.000 déclarations enregistrées entre 2013 et 2017 et analysées, 90% des données de caractérisation des nanomatériaux telles que la taille, la surface spécifique, la charge de surface ne sont « pas exploitables ».
L’absence de données complètes ou leur mauvaise qualité ne permet pas d’assurer les missions essentielles du registre R-Nano, à savoir garantir la traçabilité des filières d’utilisation des nanomatériaux et informer le public. La traçabilité est pourtant essentielle pour réduire toutes les incertitudes qui entourent les nanomatériaux et pour documenter les expositions des travailleurs et de la population générale. En définitive, ce manque de connaissances ne permet donc pas de mener une évaluation fiable des risques sanitaires et environnementaux.
L’Agence sanitaire pointe aussi du doigt la trop grande flexibilité du dispositif, dès sa mise en place, ainsi que la mauvaise transmission des informations tout au long de la chaine de distribution. L’Anses déplore ainsi la trop grande souplesse donnée aux déclarants dans les formulaires, qui n’était pas prévue dans les textes fondateurs du registre. Ainsi, des exemptions ont été accordées à certains déclarants dès l’entrée en vigueur du dispositif et sont renouvelées chaque année[1]. Il est aussi possible pour les déclarants de justifier l’indisponibilité de la donnée même pour les informations obligatoires. De fait, la justification la plus fournie actuellement sur le registre est « Information non communiquée par le fournisseur ». Par ailleurs, plus de 26.000 déclarations sont inexploitables en raison de documents attachés en non d’informations saisies dans les champs prévus à cet effet. D’une manière plus générale, les « usages » sont très peu décrits (seuls 10% des déclarants renseignent correctement un usage), les « quantités » sont souvent manquantes (78% des déclarations analysées voient le champ « quantité distribuée » non renseigné).
Recommandations de l’Anses formulées aux déclarants et aux ministères
- Mettre en place des actions pour fiabiliser le dispositif en mobilisant les déclarants pour obtenir des données fiables et de qualité, et en relevant le niveau des exigences par la fin de la flexibilité octroyée aux déclarants et en assurant une vérification des données (contrôles, analyses et vérifications de cohérence technique) ;
- Elargir le champ de la déclaration pour une meilleure traçabilité des nanomatériaux en étendant l’obligation jusqu’aux derniers utilisateurs professionnels, en revoyant le seuil de déclaration, et en exigeant des informations complémentaires (quantités par usage, travailleurs, etc.) ;
- Améliorer la mise à disposition des données. Un réexamen des textes est nécessaire en raison d‘exigences trop élevées en matière de confidentialité.
« Alors que le projet de PNSE4 prévoit une action spécifique pour mieux gérer les risques associés aux nanomatériaux et notamment améliorer la connaissance sur leur usage ainsi que la qualité des données déclarées dans le registre R-Nano, nous attendons, à la lumière des travaux de l’Anses, que figurent dans le PNSE4 des engagements forts. A ce stade, les indicateurs de suivi des mesures prises dans le cadre de cette action ne visent pas le registre R-Nano. Les recommandations de l’Anses doivent absolument figurer dans le PNSE4. Pour aller plus, nous souhaitons qu’un meilleur accompagnement et des mesures contraignantes soient prises à l’encontre des déclarants qui ne jouent pas le jeu et que les obligations de déclaration soient respectées par tous, tout au long de la chaine d’approvisionnement », déclare Fleur Gorre, chargée de campagne sur les produits chimiques chez Générations Futures.
[1] Bien que la définition de substance à l’état nanoparticulaire, en l’état ou contenue dans un mélange sans y être liée ou de matériau (article) destiné à rejeter une telle substance, soit remplie, une déclaration n’est pas exigée dans les cas suivants :
• La quantité, par entité légale et par substance, fabriquée, importée ou distribuée est inférieure à 100 grammes par an.
• La substance, en l’état ou contenue dans un mélange ou encore le matériau (article) destiné à rejeter une telle substance, sont cédés directement aux consommateurs (grand public).
Par ailleurs, une substance, un mélange ou un matériau (article) qui ferait exclusivement l’objet d’un transit sur le territoire national n’a pas à être déclaré (par transit on entend la faculté de faire passer des marchandises ou des denrées par le territoire national sans payer les droits de douane, à condition qu’elles ne fassent que traverser ce territoire)
Source (consulté le 01.12.2020) : https://www.r-nano.fr/#aide