On parle souvent de l’effet cocktail sans prendre le temps de bien le définir. Nous sommes quotidiennement exposés à une multitude de substances chimiques issues de sources diverses. D’un point de vue règlementaire, leur toxicité est étudiée de manière individuelle, c’est-à-dire molécule par molécule. Or, on sait que lorsque deux composés sont présents dans le même environnement, ils sont capables d’interagir entre eux et ainsi potentialiser leurs effets : on parle de synergie.
La problématique est d’autant plus complexe si l’on considère le fait que notre organisme est généralement exposé quotidiennement à un nombre bien plus important de polluants. En effet, il existe, selon l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) , environ 150 000 substances dans notre environnement dont l’action combinée pourrait avoir des effets inattendus sur la santé humaine au regard de leur innocuité reconnue ou supposée en tant que substances isolées. De plus, il semble aujourd’hui particulièrement complexe de prédire l’effet de ces mélanges, surtout lorsque ces « cocktails » peuvent différer en fonction des individus et de leur mode de vie (environnement d’habitat, profession, habitudes alimentaires, etc.)
Dans une publication datant de 2015, une équipe de chercheurs issus de l’Inserm, de l’université de Montpellier et du CNRS avaient montré les mécanismes inhérents aux effets cocktails de deux perturbateurs endocriniens : un composant de certaines pilules contraceptives et un pesticide organochloré interdit, mais persistant dans les sols. Prises individuellement et à de très faibles quantités, ces molécules sont sans risques pour la santé humaine. Or, ce n’est plus le cas lorsque ces molécules sont considérées dans un mélange, présentant pourtant les mêmes doses.
Ils expliquent dans leurs travaux que les deux substances ont la même cible cellulaire, la fixation du premier favorise alors la liaison du second. Cela a pour conséquence d’augmenter la quantité global de produit fixé au récepteur. De fait, le mélange induit un effet toxique à des concentrations largement plus faibles que les molécules prises séparément.
Suite à ces conclusions, les chercheurs ont poussé leur analyse du mécanisme et publié une nouvelle étude en ce début d’année. Ils y décrivent notamment comment la forme du récepteur en question, constitué de 4 « poches » distinctes, permet à des molécules, pourtant différentes d’un point de vue structurel, de s’y fixer de manière simultanée. De plus, ils se sont aperçus que l’activation, par un troisième perturbateur endocrinien, d’un autre récepteur avec lequel il s’associe pour se fixer sur l’ADN et réguler l’expression génétique, renforçait encore l’effet synergique des deux autres perturbateurs endocriniens.
Outre le fait d’illustrer de manière précise et factuelle le principe d’effets cocktails, ces travaux montrent que des molécules de structure très variable peuvent interagir indirectement au sein de l’organisme, ce qui peut aboutir à des mélanges toxiques pour la santé.
Si les mécanismes décrits ne sont qu’un exemple parmi d’autres, il est essentiel de mieux appréhender et prédire les effets cocktails afin de ne plus sous-estimer les risques liés aux expositions environnementales.
Sources :
Delfosse, V., Dendele, B., Huet, T. et al. Synergistic activation of human pregnane X receptor by binary cocktails of pharmaceutical and environmental compounds. Nat Commun 6, 8089 (2015). https://doi.org/10.1038/ncomms9089
Inserm. Les dessous de « l’effet cocktail » des perturbateurs endocriniens révélés. [en ligne] disponible sur : https://presse.inserm.fr/les-dessous-de-leffet-cocktail-des-perturbateurs-endocriniens-reveles/20453/. Consulté le 19/01/2021.
Inserm. « L’effet cocktail » des perturbateurs endocriniens mieux compris. [en ligne] disponible sur : https://presse.inserm.fr/leffet-cocktail-des-perturbateurs-endocriniens-mieux-compris/41920/. Consulté le 19/01/2021.
Vanessa Delfosse, Tiphaine Huet, Deborah Harrus, Meritxell Granell, Maxime Bourguet, Caroline Gardia-Parège, Barbara Chiavarina, Marina Grimaldi, Sébastien Le Mével, Pauline Blanc, David Huang, Jakub Gruszczyk, Barbara Demeneix, Sarah Cianférani, Jean-Baptiste Fini, Patrick Balaguer and William Bourguet. Mechanistic insights into the synergistic activation of the RXR–PXR heterodimer by endocrine disruptor mixtures. PNAS 2021 Vol. 118 No. 1 e2020551118.