Perturbateurs endocriniens et effets multigénérationnels : le scandale du Distilbène se poursuit

Le Distilbène est le nom commercial d’une hormone de synthèse (le diéthylstilbesterol ou DES), un médicament prescrit pour prévenir des avortements spontanés entre 1950 et 1977 en France à près de 200.000 femmes enceintes. Le DES est une des substances sur laquelle s’est fondé le concept de perturbateur endocrinien. De par son activité oestrogénique et anti-androgénique, le DES induit un large éventail d’anomalies de l’appareil reproducteur suite à une exposition in-utéro, et ce jusqu’à la troisième génération d’enfant:

  • Chez les « filles du DES » (c’est-à-dire les filles de mère ayant reçue du DES durant leur grossesse) : altérations du développement des canaux de Müller, problèmes de fertilité, grossesses extra-utérines, fausses couches, naissances prématurées et cancers gynécologiques, en particulier l’adénocarcinome à cellules claires (ACCC) du vagin et du col de l’utérus ;
  • Chez les « fils du DES » (c’est-à-dire les fils de mère ayant reçue du DES durant leur grossesse) : kystes épididymaires, hypospadias, cryptorchidie, testicules hypoplasiques et micropénis.

Les études sur les animaux confirment les résultats obtenus chez les humains exposés avant la naissance et indiquent en outre que les effets néfastes du DES pourraient être « transmis » à la prochaine génération. Plus inquiétant encore, les données fournit par les études épidémiologiques suggèrent que l’exposition in-utéro au DES peut induire des effets épigénétiques transmis aux générations suivantes. Néanmoins, à ce jour aucun ACCC vaginal/cervical n’a été signalé chez les petites-filles de femmes traitées au DES pendant la grossesse, alors qu’il s’agit de l’effet le plus associé à une exposition prénatale au DES.

Or, de nouvelles données provenant de l’unité d’Endocrinologie-Gynécologie pédiatrique du CHU de Montpellier rapportent pour la première fois un cas d’ACCC chez une fille prépubère dont la grand-mère maternelle a reçu du DES pendant la grossesse. La petite fille de 8 ans ne présentait par ailleurs aucun antécédent médical ou facteur de risque particulier (pas d’exposition particulières de sa famille aux perturbateurs endocriniens, parents non-fumeurs, …). Bien qu’aucun lien de cause à effet direct ne soit démontré, ce cas soulève l’hypothèse d’effets multigénérationnels du DES et suggère fortement la nécessité de suivre les petites-filles des femmes traitées au DES.

Chez les petits-fils de DES, plusieurs études signalent une forte prévalence d’hypospadias (malformation congénitale de l’appareil reproducteur), ainsi que plusieurs cas de troubles du développement sexuel.

En outre, une cohorte de 47 450 femmes traitées au DES a constaté un risque significativement plus élevé de trouble de déficit de l’attention/hyperactivité chez leurs petits-enfants, ce qui suggère un rôle du DES dans les déficits neurodéveloppementaux multigénérationnels.

On peut estimer qu’entre 500.000 et 2.000.000 de femmes ont été exposées au DES in-utéro, rien qu’aux États-Unis. Il est donc essentiel que les gynécologues et les pédiatres continuent à identifier les petites-filles de DES et à offrir un suivi clinique approprié. En outre, le DES est considéré comme un paradigme important pour comprendre les conséquences sanitaires de l’exposition humaine aux perturbateurs endocriniens, particulièrement en ce qui concerne les effets multigénérationnels chez l’Homme.

 

Source :

Laura Gaspari, Françoise Paris, Nathalie Cassel-Knipping,Julia Villeret, Arnauld Verschuur, Marie-Odile Soyer-Gobillard, Xavier Carcopino-Tusoli, Samir Hamamah, Nicolas Kalfa, Charles Sultan. Diethylstilbestrol exposure during pregnancy with primary clear cell carcinoma of the cervix in an 8-year-old granddaughter : a multigenerational effect of endocrine disruptors ?. Human Reproduction, pp. 1–5, 2020