Rapport de la commission d’enquête du Sénat sur les sols pollués : le déni français.

Le sujet est peu ou mal connu. Et pourtant, notre territoire, héritant de son passé industriel, abrite plus de 320 000 anciens sites d’activités industrielles ou de services et près de 3 000 anciens sites miniers. Nous sommes partout en France confrontés à des problèmes de pollutions des sols.

Les conclusions du rapport de la commission d’enquête du Sénat sur les problèmes sanitaires et écologiques des sols pollués par des activités industrielles ou minières et les politiques de réhabilitation de ces sols, publié le 9 septembre dernier, nous apprend que tout reste à faire en manière de gestion de ces sites. Il n’existe en effet à ce jour aucune loi visant à protéger les sols, telles que celles qui existent pour l’air et l’eau.

Les constats et la longue liste de propositions figurant dans ce rapport donnent à voir l’étendue du travail qu’il reste à accomplir pour doter la France de moyens de gestion opérationnels et efficaces des sols pollués. La commission d’enquête souligne que l’état réel des sols en France reste méconnu. L’identification des sols pollués est incomplète et les informations compilées dans les bases de données sont hétérogènes et difficilement exploitables. De plus, dans le cas de pollutions anciennes, la responsabilité de l’exploitant qui a disparu est souvent prescrite ou impossible à établir. Le principe « pollueur-payeur » est donc inapplicable. Les élus locaux se trouvent démunis face à la gestion des problèmes sanitaires et environnementaux générés par ces sites et manquent de moyens pour enclencher des travaux de dépollution souvent longs et très coûteux.

Afin de prendre réellement en compte la problématique des sols pollués en France, plusieurs propositions et demandes ont été formulées par la commission d’enquête.

Améliorer l’information sur les sites pollués.

Pour cela, la commission souhaite :

  • inscrire dans le droit français un « droit à l’information du public sur les pollutions avérées ou suspectées dans sites et sols et leurs effets sur la santé et l’environnement». Il reviendrait à Santé publique France de publier les résultats des études épidémiologiques réalisées ;
  • instaurer « une obligation législative d’information du préfet et du maire concernés pour toute personne morale ayant connaissance d’une pollution des sols ou des eaux sur un site» ;
  • cartographier les risques sanitaire et environnementaux liés aux pollutions des sols, notamment en complétant et en réactualisant régulièrement les bases de données Basol et Basias;
  • protéger en priorité les enfants et les adolescents en instaurant l’obligation d’établir un diagnostic des sols avant la construction d’établissements destinés à leur accueil. Les sénateurs demandent d’allouer 50 millions d’euros pour terminer l’inventaire et le diagnostic des sols des établissements recevant des enfants situés sur des sites pollués, en donnant la priorité aux départements jusqu’à présent exclus de l’inventaire.

Introduire dans la législation française un droit à la protection des sols.

Pour ce faire, la commission propose :

  • d’instaurer un droit des sols européen et national en relançant le processus d’élaboration d’une directive européenne sur la protection des sols et la prévention de leur dégradation par les activités industrielles et minières;
  • d’introduire dans le code de l’environnement une définition législative de la pollution des sols et de clarifier les notions d’usage, de remise en état et de réhabilitation ;
  • de rendre homogène le code minier et le code de l’environnement, notamment en ce qui concerne la responsabilité des exploitants et la prévention des risques sanitaires et environnementaux.

Améliorer la surveillance des sols.

Pour cela, la commission préconise notamment :

  • d’instaurer un programme national de surveillance de la présence de substances polluantes prioritaires susceptibles d’être présentes dans les sols ;
  • de renforcer l’inspection et le contrôle des installations classées, ainsi que leurs capacités financières pour assumer leurs obligations de remise en état. Elle souhaite aussi rendre obligatoire l’examen de la qualité des attestations délivrées par les bureaux d’études en matière de mise en œuvre des obligations de diagnostic ou des mesures de gestion de la pollution de certains sites;
  • de rechercher activement les cas de non-déclaration des cessations d’activité.

Gérer de manière plus réactive et plus transparente les risques sanitaires et agir pour une meilleure réparation des préjudices écologiques.

La commission propose ainsi :

  • de définir un cadre de veille et de gestion des risques sanitaires basé sur la remontée des informations du local vers le national et un traitement homogène et proportionné des cas de pollution des sols sur l’ensemble du territoire national ;
  • de rendre obligatoire l’élaboration par le préfet d’un plan d’action de gestion des risques sanitaires pour chaque site pollué présentant un danger avéré pour la santé et de mettre en place une commission de suivi de tous les sites industriels ou miniers, en activité ou en arrêt, présentant un risque pour la santé ;
  • d’introduire dans le plan communal de sauvegarde des communes concernées un volet pour l’alerte, l’information, la protection et le soutien des populations en cas de risque de pollution industrielle ou minière des sols ;
  • de créer des centres régionaux de santé environnementale, qui seraient chargés d’examiner les demandes d’évaluation de l’impact sanitaire d’expositions environnementales et de prévoir, dans les départements les plus touchés, la création de registres de morbidité, référençant notamment les cancers et les malformations congénitales ;
  • d’inscrire dans la loi la participation des exploitants au financement des études d’imprégnation et des études épidémiologiques.

Mobiliser des friches industrielles et minières dans une optique d’aménagement durable.

Pour cela, la commission d’enquête préconise :

  • d’introduire dans la loi la définition du statut de friche et de créer un inventaire territorial des friches ;
  • d’améliorer le traitement des terres excavées en l’intégrant dans une logique d’économie circulaire (actuellement, une grande partie des terres contaminées sont éliminées ou envoyées à l’étranger). Des mécanismes d’incitation fiscale permettrait d’effectuer les travaux de dépollution en utilisant des techniques respectueuses de l’environnement ;
  • de créer un fonds national dédié à la réhabilitation des sites et sols polluées prenant en charge la dépollution des sites orphelins et venant en aide aux exploitants ou aux propriétaires de terrains (notamment les collectivités territoriales qui ont hérité de friches polluées). Ce fonds serait alimenté à la fois par l’Etat, les pollueurs – via le versement de sanctions administratives, civiles ou pénales – et par la taxe générale sur les activités polluantes.

Générations Futures partage le constat alarmant de ce rapport d’enquête et soutient l’ensemble des mesures proposées par les sénateurs. Il est urgent d’agir pour protéger notre santé et notre environnement contre ces pollutions anciennes.

La liste des scandales sanitaires générés par des sites pollués par des installations industrielles à risque est longue : cas de leucémies rares déclarés à Montreuil dans un quartier du centre-ville pollué au chrome VI, abritant l’usine SNEM spécialisée dans le traitement de pièces métalliques des groupes aéronautiques Airbus et Safran ; cas de cancers à Romainville dans le secteur de l’ancien site de l’usine Wipelec, également spécialisée dans le traitement de surface des métaux pour l’industrie aéronautique, pollué au benzène et au trichloréthylène ; contamination de 38 enfants surexposés à l’arsenic dans l’ancienne vallée minière de l’Ormiel, dans l’Aude après les inondations de 2018 ; découverte lors de travaux de rénovation de la présence de solvants chlorés dans l’air intérieur des bâtiments du collège Saint-Exupéry à Vincennes, etc. Dans la majorité des cas, ce sont les victimes qui mènent seules le combat juridique et politique pour que ces sites soient fermés, dépollués, pour qu’un suivi sanitaire soit mis en place et pour obtenir réparation.

Or, l’accès à l’information, pourtant essentiel pour que ces démarches aboutissent, est largement entravé. Ainsi, il n’existe pas de cartographie complète des sites pollués en France, ni de bases de données fines et géolocalisées sur l’exposition des populations aux polluants, ni de registres complets des pathologies. Or, le croisement de ces données permettrait de faire apparaître des clusters et d’avoir une connaissance précise des expositions et de leurs effets potentiels sur la santé. Les pouvoirs publics pourraient alors enquêter plus finement sur les causes des pathologies et mettre en place les politiques de prévention adaptées.

« Il semble incroyable que notre pays, dont le passé industriel est pourtant bien connu, n’ait toujours pas pris la mesure et la responsabilité de la dépollution de ces milliers de sites pollués. Nous savons que les sols contaminés aux métaux lourds, aux produits chimiques persistants ou aux nanoparticules ne sont pas tous à l’état de friches. Et qu’en raison de la pression liée à l’urbanisation, des logements, des écoles, des terrains de sports, des hôpitaux ont été construits à la hâte sur certains de ces sites encore pollués. Il est inacceptable d’exposer ainsi des individus, dont des enfants, à ces produits toxiques. Ce rapport lance un cri d’alarme pour qu’enfin soit considéré le droit des sols au même titre que celui de l’eau ou de l’air, biens communs nécessaires à une vie en bonne santé. Il est urgent de rattraper le retard accumulé depuis tant d’années et de prendre enfin la mesure du problème. Générations Futures suivra avec la plus grande attention la mise en place des recommandations formulées par les sénateurs », déclare Fleur Gorre, chargée de la campagne sur les produits chimiques de Générations Futures.