La Commission européenne a annoncé lundi 25 avril 2022 son ambition de restreindre les usages de milliers substances d’ici 2030. Cette annonce a été publiée dans une « feuille de route » listant les groupes de substances qui seraient concernées par des interdictions. Ce plan de restriction rentre dans la stratégie européenne pour la durabilité dans le domaine des produits chimiques, volet chimique du « projet vert » (Green Deal) européen, qui vise à garantir un environnement exempt de substances toxiques d’ici 2030. Cette feuille de route se veut être un plan de transition, en attendant la révision du règlement REACh qui prévoit l’introduction du concept de « l’approche générique des risques » qui permettra d’interdire d’office certains usages d’une substance (ou groupe de substances) dès lors qu’elle présente certaines propriétés dangereuses.
Le contexte
La réglementation REACh, prévoit comme instrument permettant de diminuer les risques liés aux substances chimiques les plus toxiques, la possibilité d’interdire certains usages de ces substances. On parle alors de « restriction » des usages : les usages responsables d’un risque inacceptable pour la santé humaine ou l’environnement sont interdits et seuls les usages pour lesquels le risque est considéré comme acceptable restent autorisés. Cette mesure a l’origine ambitieuse, a montré de nombreuses limites depuis l’entrée en vigueur du règlement en 2007 de par sa complexité et la lenteur du processus d’évaluation des dossiers. En conséquence, seuls 71 substances ou groupes de substances ont actuellement des usages interdits. Ces interdictions concernent principalement des substances aux propriétés Cancérigènes, Mutagènes et Reprotoxiques (CMR) incluses dans des articles à destination des consommateurs, notamment les produits cosmétiques ou les jouets.
Une excellent nouvelle…
Ce nouveau projet de la Commission, vise bien plus grand. Il prévoit de restreindre non seulement les CMR mais aussi les substances aux propriétés de perturbation endocrine (PE), les substances très persistantes et bioaccumulables dans l’environnement (PBT, vPvB) ou encore les substances neurotoxiques et immunotoxiques. De plus, ces restrictions concerneront les usages des substances dans les articles mais aussi d’autres usages, plus larges, industriels et professionnels. Ce projet se veut aussi beaucoup plus efficace et rapide : en appliquant systématiquement une approche d’évaluation par groupe de substances, et non plus substance par substance comme c’était majoritairement le cas jusqu’à présent, le nombre de substances concernées est considérable : de 4000 à 7000 substances seraient visées par ces interdiction selon les estimations du Bureau Environnemental Européen (BEE).
Cette approche d’évaluation par groupe devrait permettre en outre d’éviter les substitutions malheureuses, par des substances similaires tout aussi (voire plus) toxiques, comme cela a été le cas avec les substituts du bisphénol A, par exemple.
Concrètement, ces futures restrictions vont concerner des grandes familles de substances chimiques, bien connues pour leurs effets toxiques. Seront concernés en plus des PFAS et les bisphénols pour lesquels la demande de restriction est déjà en cours, de nouveaux groupes de substances tels les PVC et leurs additifs, les phtalates, les retardateurs de flamme, toutes les substances CMR dans les articles de soins pour bébés, entre autres. En pratique, ce sont bon nombre de produits de consommation utilisés au quotidien qui vont être impactés (textiles, meubles, ustensiles de cuisine, produits d’entretien etc.)
… avec toutefois des points à surveiller
Ainsi, ce plan de restriction est une excellente nouvelle… si il est effectivement appliqué. Aussi, il est nécessaire de rester vigilant et de surveiller son évolution. En effet, comme précisé dans la feuille de route, la liste des substances visées est « un document de travail » et peut être amenée à évoluer. Certaines substances, ou groupes de substances actuellement listés pourraient au final ne plus être concernés par la restriction alors que d’autres substances pourraient être incluses dans le plan.
Il y aura aussi la possibilité de déroger à ces restrictions pour les usages dit « essentiels » dont la définition précise n’est pour l’instant pas encore connue. Ces dérogations devront être les plus rares et limitées dans le temps que possible.
Enfin, il faudra s’assurer que toutes les ressources supplémentaires nécessaires à la bonne application de cette feuille de route soient mises en œuvre au niveau de l’Agence européenne sur les produits chimiques (ECHA) et au niveau des Etats Membres, afin que ces restrictions puissent être appliquées dans des délais raisonnables. Pour l’instant, la feuille de route indique uniquement, pour les nouveaux groupes de substances concernés, la date à laquelle la Commission prévoit de saisir l’ECHA pour la réalisation des dossiers. Le processus peut donc encore être long…
« La publication de cette feuille de route est une excellente nouvelle pour la santé environnementale. Elle constitue de plus la concrétisation d’une demande faite depuis de nombreuses années par les ONG, à savoir l’évaluation de groupe entier de substances et non plus substance par substance. Nous resterons toutefois vigilants quant à la bonne application, dans des délais raisonnables de ce plan de restriction » conclut Pauline Cervan, chargée de mission réglementaire au sein de Générations Futures.