Dans le cadre du programme français de biosurveillance humaine, l’étude de santé publique Esteban vise à mesurer notre exposition à certaines substances de l’environnement pouvant avoir des conséquences néfastes sur la santé.
Cette étude a décrit les niveaux de biomarqueurs de diverses substances chimiques chez les adultes (18-74 ans) et les enfants (6-17 ans). Ses résultats reflètent donc l’imprégnation de la population française à un large éventail de contaminants représentant une menace pour la santé humaine et pourtant présents dans de nombreux produits du quotidien, y compris les emballages alimentaires.
Six familles de contaminants jugés préjudiciables à la santé ont été mesurés entre 2014 et 2016 chez 2 503 adultes et 1 104 enfants, vivant en France métropolitaine et sélectionnés au hasard. Ces six familles comprennent : trois bisphénols (A, F et S), des phtalates, des parabènes, des éthers de glycol, des retardateurs de flamme bromés (RFB) et des composés perfluorés (PFAS).
Tous sont toxiques pour l’Homme, car présentant par exemple des effets cancérigènes ou perturbateurs endocriniens. Ils se trouvent dans des objets divers tels que les cosmétiques, les vernis, les peintures, les solvants, les textiles, les revêtements adhésifs des poêles, les jouets en plastique, etc.
Résultats par familles
Les bisphénols
Les bisphénols ont été quantifiés dans tous les échantillons analysés (99,9% pour le BPS et 100% pour le BPA et le BPF).
En termes de concentrations, les adultes et les enfants présentaient des taux de BPA plus élevés que ceux du BPS et du BPF. En outre, les concentrations de BPA pour Esteban étaient plus élevées que celles décrites aux États-Unis et au Canada, mais proches de celles signalées dans plusieurs autres pays européens dont l’Allemagne et la Belgique. Au contraire, les concentrations de bisphénols F et S chez les enfants étaient plus faibles dans les études européennes que dans l’enquête américaine NHANES. Cela peut s’expliquer par le fait que la substitution du BPA par ses congénères, à savoir le BPS et le BPF, a été mise en œuvre plus tôt aux Etats-Unis qu’en France. Rappelons que depuis 2015, le bisphénol A est interdit dans les emballages et ustensiles alimentaires.
Les phtalates
Les résultats montrent également la présence d’au moins un métabolite des phtalates chez l’ensemble des individus testés. Le MEP, le métabolite du DEP, était le métabolite ayant les plus fortes concentrations à la fois chez les adultes et les enfants, suivi du MiBP, le métabolite du DiBP. Toutes ces observations concordent avec les résultats d’études de biosurveillance menées ailleurs, notamment au Canada et aux États-Unis.
Les éthers de glycol
100 % des enfants et 99,8 % des adultes présentaient des concentrations urinaires quantifiables pour au moins un des 8 métabolites des éthers de glycol analysés. Les niveaux retrouvés étaient proches de ceux observés dans la cohorte Pelagie chez les femmes enceintes en France entre 2002 et 2005.
Les parabènes
Les concentrations retrouvées dans Esteban étaient inférieures à celles trouvées dans les études européennes et nord-américaines. Une explication possible, concernant ces dernières, est que la réglementation européenne est plus restrictive concernant l’utilisation des parabènes dans l’alimentation. Globalement, dans toutes les études internationales citées ici, les parabènes les plus fréquemment quantifiés, par ordre d’importance, sont : le méthyl-parabène, le propyl-parabène, l’éthyl-parabène et le butyl-parabène.
Les retardateurs de flamme bromés
Les taux de quantification des retardateurs de flamme bromés (RFB), des polluants organiques et persistants (Convention de Stockholm) dont la vente et l’utilisation ont été réduites ou arrêtées par la législation européenne, varient selon les congénères. Là encore, les concentrations de RFB retrouvées dans l’étude Esteban (et donc chez la population française) étaient similaires à celles trouvées dans d’autres pays européens.
Les composés perfluorés
Enfin, certains métabolites de composés perfluorés (PFAS) ont été quantifiés dans presque tous les échantillons biologiques analysés, à des concentrations variant d’un PFAS à l’autre. Il s’agissait particulièrement de métabolites correspondants aux PFOS et PFOA.
Discussion
Les résultats recueillies dans le cadre de l’étude Esteban montrent qu’en moyenne, les plus jeunes enfants présentaient des concentrations plus élevées de tous les contaminants mesurés, à l’exception des PFAS.
Plusieurs hypothèses pourraient expliquer ces différences, notamment un contact plus fréquent avec la peau, les contacts « main-bouche » répétés, une exposition accrue aux poussières domestiques et un poids corporel inférieur par rapport à leur consommation alimentaire. En outre, la consommation de nourriture ne semble pas être la seule source d’exposition aux six familles de substances testées.
En effet, il semble que l’utilisation de cosmétiques et de produits de soin augmente les niveaux de parabènes et d’éthers de glycol, tandis qu’une aération plus fréquente des habitations est associée à des concentrations plus faibles de RFB et de PFAS.
Autre constat, les femmes semblent davantage exposées que les hommes. Une hypothèse mentionnée dans d’autres études aux résultats similaires était l’utilisation plus fréquente par les femmes de produits de soin pour les parabènes et les éthers de glycol, et de produits ménagers pour les éthers de glycol. Cette hypothèse a été confirmée grâce à un questionnaire.
Cette étude est la première à fournir une évaluation représentative de l’exposition biologique aux contaminants domestiques au niveau de la population française. Les résultats montrent que l’exposition à 6 familles de polluants présents dans l’environnement domestique est généralisée, tant chez les enfants que chez les adultes.
Concernant l’exposition des enfants, il est primordiale d’agir étant donné qu’il s’agit d’une population particulièrement vulnérable et chez qui les concentrations retrouvées sont plus élevées.
Ces résultats confirment la nécessité de promouvoir et d’évaluer l’efficacité des politiques publiques actuelles et futures pour la réglementation de ces substances. De prochaines études similaires en France permettront de mesurer les tendances temporelles, et d’évaluer les politiques publiques axées sur la réduction de ces substances chimiques dans l’environnement.
Source :
Clémence Fillol, Amivi Oleko, Abdesattar Saoudi, Abdelkrim Zeghnoun, Alexis Balicco, Jessica Gane, Loïc Rambaud, Alain Leblanc, Éric Gaudreau, Philippe Marchand, Bruno Le Bizec, Valérie Bouchart, Florent Le Gléau, Gaël Durand, Sébastien Denys. Exposure of the French population to bisphenols, phthalates, parabens, glycol ethers, brominated flame retardants, and perfluorinated compounds in 2014–2016: Results from the Esteban study. Environment International, Volume 147, 2021, 106340, ISSN 0160-4120.