Le 02 novembre dernier, la Fondation de l’Académie de médecine (FAM) organisait une conférence pour aborder les questions complexes entourant la notion d’exposome et les enjeux sanitaires qui y sont associés.
Le Pr Richard Villet, secrétaire général de la FAM a d’abord rappelé que malgré le contexte particulier dans lequel nous vivons, une grande partie des maladies actuelles sont non transmissibles. De plus, elles sont fortement liées à notre exposome, c’est-à-dire à l’ensemble de nos expositions environnementales. Parmi elles, certaines sont volontaires (tabac, alcool, etc.). D’autres sont en revanche hors de notre contrôle : il s’agit des polluants chimiques auxquels nous sommes quotidiennement exposés. Pour beaucoup émergents, on ne sait aujourd’hui pas nécessairement mesurer leur toxicité car certains ne respectent pas les règles de la toxicologie classique dictés par Paracelse au 16ème siècle : « c’est dans la dose qu’est le poison ». Ainsi, plusieurs difficultés apparaissent :
- Quelles sont les effets de multi-expositions, c’est-à-dire d’expositions à plusieurs substances en simultané ?
- Comment gérer les effets délétères liés à des doses infinitésimales et/ou à une exposition sur de longues durées ?
Dans ces polluants émergents, on retrouve notamment les perturbateurs endocriniens (PE). Le Pr Philippe Bouchard (endocrinologue, hôpital Foch) a donc logiquement pris le relais. Ces substances, découvertes grâce aux travaux de Rachel Carson (Silent spring-1962) et de Theodora Colborn (Our stolen future-1996), interfèrent avec la régulation et le métabolisme des hormones. Or, ces dernières contrôlent le métabolisme, le fonctionnement du cerveau, la reproduction, etc.
Plus précisément, les cibles des PE sont le métabolisme des œstrogènes, des androgènes, la thyroïde, etc. Leurs effets aboutissent à la formation de cancer, d’anomalies de la fertilité et de la reproduction, de maladies neurologiques et cardiovasculaires, l’apparition d’obésité et de diabètes, etc.
La perturbation hormonale est la résultante du monde qui nous entoure : ce qu’on respire, ce qu’on mange, les rayonnements que l’on reçoit, etc. Aux Etats-Unis, il a été identifié environ 1800 PE. Le coût associé en Europe est estimé à 163 milliards par an contre 340 aux Etats-Unis.
Le Dr. Hélène Budzinski (CNRS Bordeaux) a ensuite rappelé que le développement des activités humaines a mené à la libération de milliers de substances chimiques dans l’environnement.
Même si des règlementations existent pour les différents types de milieux contaminés par ces substances, elles ne concernent qu’une portion infime de molécules. Par exemple, la directive cadre sur l’eau ne liste qu’une cinquantaine de molécules pour lesquelles une certitude existe vis-à-vis de leur toxicité mais également sur notre capacité à les doser. Or, un nombre croissant de substances est détecté dans l’environnement (des milliers de composés différents). Cette détection est permise par le progrès des mesures analytiques (spectrométrie de masse principalement). Cependant, il ne s’agit que de la partie visible de l’iceberg car la plus grande partie des composés potentiellement présents sont des composés « inconnus », c’est-à-dire que l’on ne connait pas, que l’on n’a pas encore ciblés, ou pour lesquels on manque d’étalon de mesure.
En ce qui concerne la mise en évidence de la toxicité des mélanges, le Dr Fabrice Nesslany (Président de la Société française de toxicologie, Institut Pasteur de Lille) a noté qu’elle se base aujourd’hui essentiellement sur l’évaluation de l’innocuité de chaque composant pris individuellement. Or, il y a une nécessité absolue de prendre en compte les effets combinés. Pour cela, il est par exemple possible de considérer un mélange comme une entité unique comme c’est le cas dans le programme PERICLES dont le but était d’identifier les « cocktails » de pesticides auxquels les consommateurs ont le plus de chance d’être exposés.
Dans l’ensemble, il reste très difficile de prendre en compte les expositions multi-sources car l’exposome pourrait représenter plus de 100 000 substances ! De plus, une substance peut présenter un ou plusieurs effets toxicologiques. Il reste pourtant essentiel de prendre en compte la réelle exposition de la population.
Le Dr Cécile Chevrier (INSERM) a ensuite détaillé les apports de l’approche épidémiologique qui consiste en l’étude d’une population d’individus dans l’objectif de :
- décrire et estimer l’incidence de maladie et l’état de santé de cette population;
- identifier les facteurs impliqués dans la survenue d’événements de santé;
- si possible, quantifier les niveaux d’exposition à ces facteurs de risques.
Le principal avantage de cette approche est que les données d’observation sont issues d’une infinité de situations réelles de multi-exposition : faibles doses, expositions répétées dans le temps, cumul de sources et de voies d’exposition, présence simultanée de substances chimiques, etc. Des outils variés permettent quant à eux de mesurer l’exposition : questionnaire, méthode métabolimique, des modèles basés sur des systèmes d’information géographique, des biomarqueurs, etc.
Enfin, Matthieu Schuler (Directeur de l’évaluation des risques à l’Anses) a souligné l’importance :
- du rôle de l’accumulation dans le temps des expositions et du caractère différé de l’émergence de certains effets sur la santé (notamment suite aux expositions chroniques);
- de la prise en compte de la fenêtre d’exposition qui part de constat que les mêmes expositions ne produisent pas les mêmes effets suivant la période de vie où l’être humain est exposé;
- du cumul des expositions externes, aussi bien en termes de type d’exposition (physiques, chimiques, microbiologiques), que de voie d’exposition (ingestion, respiration, contact, …)
- de l’interaction entre ces différentes exposition
- de l’influence des facteurs psycho-sociaux en tant que déterminant des motifs et trajectoire d’exposition.