Compte à rebours : notre santé reproductive en péril !

Lorsque le Dr Shanna Swan a pour la première fois lu un rapport publié en 1992 et concluant a une importante diminution du sperme au cours des 50 dernières années, elle a été sceptique mais intriguée. De cette lecture s’est suivie 25 années de travail afin d’enquêter sur cette baisse alarmante, en cherchant notamment les causes de cette diminution et de sa persistance dans le temps.

Au cours de cette quête, le Dr Swan a découvert le pouvoir dévastateur des produits chimiques (tout particulièrement des perturbateurs endocriniens – PE), cachés mais omniprésents dans notre vie quotidienne, qui altèrent la capacité des hommes et des femmes à concevoir et à mettre au monde un bébé en bonne santé. Elle a appris que ces produits chimiques font bien plus que réduire le nombre de spermatozoïdes et ont en réalité un impact sur de nombreux aspects de notre santé et de notre longévité, ainsi que sur celle des générations futures.

Dans le but d’être entendue en dehors de la communauté scientifique et de motiver l’action que cette crise reproductive et environnementale exige, les découvertes du Dr Swan ont donné lieu à la rédaction du livre « Count Down : How our modern world is threatening sperm counts, altering male and female reproductive development, and imperiling the future of the human race » (que l’on pourrait traduire par « Compte à rebours : Comment notre monde moderne menace la qualité du sperme, altère le développement reproductif des hommes et des femmes et met en péril l’avenir de la race humaine »). Dans un webinaire organisé par The collaborative on health and the environment et auquel Générations Futures a pu participer, le Dr Swan partage les principales causes liées à cette diminution de la santé reproductive observée.

Le contexte

En 1992 et sur la base 61 études, l’article de Carlsen et al. affirme qu’au cours des 50 dernières années, la qualité du sperme a connu un véritable déclin. Par la suite, ces résultats sont confirmés, notamment par le biais de l’étude de Levine et al. (2017) qui montre une diminution de 52% de la concentration en spermatozoïde entre 1973 et 2011. En se basant sur ces travaux et sur une extrapolation des données aux années postérieures à 2011 (c’est-à-dire si la diminution observée n’est pas ralentie), la concentration de spermatozoïde deviendrait nulle à partir de 2045.

La santé reproductive est ici déterminée par la concentration en spermatozoïde chez l’homme. Il est important de noter qu’il ne s’agit que d’une mesure parmi d’autres. Néanmoins, les tendances de l’ensemble des facteurs de santé reproductive sont similaires, ce qui indique des causes communes.

Principaux troubles de la santé reproductive

Les causes

Plusieurs causes à la détérioration de la santé reproductive ont pu être identifiées. Elles sont globalement des deux ordres, à savoir génétique et environnementale. Cette deuxième partie est assez large, puisqu’elle regroupe à la fois les facteurs liés au mode de vie et les expositions chimiques (notamment aux PE tels que les phtalates, bisphénols, PFAS, certains pesticides, retardateurs de flamme, etc.)

C’est justement l’effet des PE, qui a particulièrement intéressé le Dr Swan. Pour bien comprendre ses travaux, intéressons-nous au développement reproductif, c’est-à-dire à la mise en place des organes génitaux. Celle-ci est étroitement liée à un apport hormonal, plus précisément à la testostérone. En effet, une sécrétion de testostérone au bon moment et en quantité suffisante va induire une différenciation des gonades en organes mâles. Dans le cas contraire, l’individu sera pourvu d’un appareil génital femelle.

Dès lors, qu’est-ce qui peut interférer avec ce taux de testostérone et donc potentiellement induire des problèmes au niveau de la mise en place des organes génitaux ? Parmi les anti-androgènes les plus courants, on retrouve les phtalates, auxquelles nous sommes par exemple exposés via l’alimentation ou les produits cosmétiques. Ainsi, des études sur des rongeurs ont notamment montré que suite à une exposition aux phtalates, le pic de testostérone induisant la différenciation en appareil génital male était supprimé. Les chercheurs ont appelé ce phénomène le Syndrome du phtalate et ont décrit ses effets possibles : micropénis, malformations génitales, testicules non descendues, distance ano-génitale réduite (paramètre utilisé depuis 1998 dans les tests de toxicité animale).

En mesurant la présence de métabolites de phtalates chez des femmes enceintes, le Dr Swan a pu mettre en évidence le syndrome du phtalate chez l’Homme avec deux études, respectivement en 2005 et 2015. De plus, comme la distance ano-génitale est associée à un nombre de spermatozoïde plus faible de manière très significative, il s’agit dans les faits d’un excellent outil de prédiction de la fertilité.

Enfin, on sait désormais que la question de la fenêtre critique d’exposition est essentielle. Macleod et al. ont par exemple démontré que l’association entre les métabolites de DEHP (un phtalate) et la distance ano-génitale n’était significative que lors du premier trimestre chez des rongeurs. Autrement dit, la période à laquelle ont est exposé a son importance et pas des moindres. Autre exemple, il a été montré que pour le tabagisme, l’exposition prénatale est plus importante que l’exposition postnatale, 80% de la réduction du nombre de spermatozoïdes étant liés à une exposition avant la conception ou durant la grossesse.

Quelles conséquences ?

Outre la difficulté évidente de procréer, une mauvaise santé reproductive a également des conséquences tout au long de la vie. En effet, une étude de Jensen et al. (2009) montre que les hommes présentant une faible concentration de spermatozoïdes meurent plus tôt et sont également plus sujet à être hospitalisés. La santé reproductive a été suggérée comme le sixième signe vital et devrait donc en conséquence être davantage surveiller.

De plus, on ne connait pas exactement l’impact de ces produits chimiques sur les autres espèces, mais l’on peut déduire que ce qui nuit à notre santé reproductive, nuit aussi à la leur.

Solutions envisageables

La première chose soulignée par le Dr Swan est d’éviter au maximum les substitutions regrettables (échange d’un produit chimique dangereux contre un autre). Par exemple, lorsqu’elle s’est aperçue de la baisse de près de 50% des taux de DEHP entre son étude de 2005 et 2015 dans les populations considérées, elle s’est tout d’abord dit que l’on était en bon chemin. En réalité, celui-ci avait simplement était remplacé par un autre phtalate (DINP), tout aussi nocif.

Une autre chose qui nous empêche de progresser sur cette question est que nous ne testons pas assez. Ainsi, seuls 250 des plus de 60 000 produits chimiques existants ont été testés directement par l’EPA (agence gouvernementale des Etats-Unis pour l’environnement).

Elle propose donc de :

  • Supprimer les produits chimiques actifs sur le plan hormonal, nocifs à faible dose, persistants dans l’environnement ou non testés pour leur toxicité.
  • Remplacer par des produits chimiques sans effets PE, sans effets nocifs à faible dose, peu persistant dans l’environnement et dont la sûreté a été démontrée avant la commercialisation
  • Mieux règlementer en évaluant les effets à faible dose, les effets des mélanges et la persistance dans l’environnement