Les denrées alimentaires sont essentielles à notre survie, mais peuvent également être le vecteur d’un certain nombre de substances chimiques. Celles-ci comprennent les contaminants, les substances migrant des matériaux en contact avec les aliments, les additifs alimentaires et les résidus de pesticides.
L’exposition alimentaire de la population à ces substances peut susciter des inquiétudes pour la santé et une évaluation de l’exposition quotidienne correspondante est donc nécessaire. L’Agence française de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) a mené la première étude sur l’alimentation totale (EAT) des nourrissons centrée sur les enfants de moins de 3 ans. Cette étude visait à évaluer l’exposition aux substances potentiellement nocives chez les nourrissons et les jeunes enfants en France, une population connue pour être plus sensible aux polluants. Les EAT présentent l’avantage d’évaluer la présence de substances chimiques d’intérêt dans les aliments » tels que consommés » et sont représentatifs de l’ensemble du régime alimentaire, et permettent donc d’estimer l’exposition alimentaire pour différents groupes de population de manière efficace, rentable et précise.
Ces dernières années, les substances libérées par les matériaux en contact avec les aliments ont fait l’objet d’un intérêt croissant, notamment celles pour lesquelles les aliments ont été identifiés comme une voie d’exposition majeure. En effet, avant d’être consommés, les aliments entrent en contact avec de nombreux matériaux et articles pendant la production, la transformation, le stockage, la préparation et la mise à disposition. Afin de s’assurer que ces matériaux ne sont pas une source de risques pour la santé, différentes réglementations ont été émises au niveau national et européen (notamment le règlement cadre (CE) n°1935/2004 et le règlement plastique de la Commission (UE) n°10/2011). La base du règlement cadre est le principe d’inertie, tel que spécifié dans l’article 3 du règlement (CE) n°1935/2004, selon lequel le matériau ne doit pas transférer aux denrées alimentaires des constituants en quantités pouvant représenter un risque pour le consommateur, ou pouvant modifier les qualités organoleptiques, ou la composition des denrées alimentaires.
Pourtant, plusieurs études ont montré que certaines substances autorisées dans les matériaux en contact avec les aliments peuvent se retrouver dans les aliments pour nourrissons (Yano et al., 2005, Wormuth et al., 2006, Rothenbacher et al., 2007, Pandelova et al., 2011) et ont déclenché des controverses lors de la prise en compte d’autres paramètres toxicologiques que ceux considérés pour fixer des limites de migration spécifiques par les gestionnaires de risques (c’est-à-dire la Commission européenne en Europe). L’exemple le plus connu de ces controverses est le bisphénol A (BPA), soupçonné de déclencher des effets toxicologiques via des mécanismes de perturbation endocrinienne à des concentrations bien plus faibles que celles testées dans les études soutenant l’autorisation de mise sur le marché.
Outre le BPA, l’étude de l’ANSES a porté spécifiquement sur l’éther diglycidylique du bisphénol A (BADGE) et ses dérivés, certains phtalates et les photo-initiateurs d’encre, et ce pour plusieurs raisons. Tout d’abord, des questions ont été soulevées quant à leurs effets indésirables, de nature générale ou spécifique à la population considérée. De plus, très peu de données sur la contamination des aliments étaient disponibles, comme pour les phtalates, qui sont des plastifiants, malgré leur large éventail d’utilisations comme matériaux en contact avec les aliments, ce qui a donné lieu à des évaluations limitées des risques pour ces substances.
Dans ces travaux, un échantillon représentatif de 705 enfants vivant en France et âgés de 1 mois à 3 ans a été recruté sur la base d’un échantillonnage par quotas proportionnels au précédent recensement français en tenant compte de l’âge, de la profession de la mère et de la catégorie socio-économique de la famille. Les enfants totalement ou partiellement allaités au sein (pendant la période d’enquête) ont été exclus de l’étude pour des raisons pratiques. Une liste d’aliments à échantillonner a été sélectionnée parmi les aliments enregistrés sur la base de deux critères :
- les aliments les plus consommés par les enfants en termes de quantité et/ou de taux de consommation afin de couvrir plus de 95% de l’ensemble du régime alimentaire de la population ;
- les aliments moins consommés, mais connus pour contribuer de manière significative à l’exposition à une ou plusieurs substances chimiques d’intérêt.
Une enquête spécifique a ensuite été menée afin de déterminer le type d’aliments consommés par les enfants ainsi que des questions sur les récipients utilisés lors de la transformation ou de la cuisson, dans le but de prendre en compte la migration potentielle des substances des matériaux en contact avec les aliments.
Ces données ont permis d’estimer le niveau de contamination des enfants de moins de 3 ans à une dizaine de substances ou groupes de substances, dont certaines sont susceptibles de déclencher des effets via un mécanisme d’action de perturbateur endocrinien. En revanche, en l’absence de valeurs guides fondées sur des critères sanitaires, il n’a pas été possible de conclure quant au risque associé à l’exposition alimentaire.
Ainsi, l’exposition alimentaire des enfants de moins de 3 ans aux substances migrant des matériaux en contact avec les aliments semble généralement tolérable, à l’exception du BPA. Néanmoins, les prélèvements alimentaires ayant été réalisés avant les dernières réglementations européennes interdisant le BPA dans les emballages alimentaires, l’exposition au BPA devrait aujourd’hui être plus faible et ne plus représenter un problème de santé publique même si cela doit maintenant être vérifié. Les phtalates ont été détectés dans jusqu’à 10% des échantillons, alors que les photo-initiateurs d’encre n’ont jamais été détectés.
Ces résultats soulignent la nécessité de réaliser des études toxicologiques afin de produire des valeurs indicatives basées sur la santé pour l’évaluation des risques des principales substances migrant des matériaux en contact avec les aliments.
Par ailleurs, il convient de noter que l’évaluation réalisée dans cette étude n’a porté que sur l’exposition par voie alimentaire, et sur une base individuelle, sauf pour les quatre phtalates. Or, ces substances ne sont pas seulement présentes dans les aliments, mais aussi dans différents compartiments de l’environnement. Il serait donc aussi intéressant de considérer plus généralement le risque lié à l’exposition à de multiples contaminants. Une analyse de l’exposition aux mélanges de ces substances intégrant les différentes voies d’exposition serait donc nécessaire. Ceci est d’autant plus important que plusieurs de ces substances ont des effets de perturbation endocrinienne. Les données recueillies dans cette étude, avec la nécessité d’actualiser les concentrations de BPA dans les aliments, pourraient alimenter des études sur les associations potentielles entre les mélanges de substances et les effets sur la santé, ainsi que sur l’exposition de la population aux substances chimiques tout au long de la vie.
Source :
Véronique Sirot, Gilles Rivière, Stéphane Leconte, Jean-Charles Leblanc, Martine Kolf-Clauw, Paule Vasseur, Jean-Pierre Cravedi, Marion Hulin. Infant total diet study in France: Exposure to substances migrating from food contact materials. Environment International, Volume 149, 2021, 106393, ISSN 0160-4120. https://doi.org/10.1016/j.envint.2021.106393.