Deuxième stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens : où en sommes-nous ?

 

Publiée en septembre 2019, la deuxième stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens (SNPE2) définit les objectifs stratégiques de la France en matière de lutte contre les perturbateurs endocriniens (PE) pour la période 2019 – 2022.

Copilotée par les ministères de la Santé et de la Transition écologique et solidaire, cette stratégie a été élaborée avec les parties prenantes du Groupe santé environnement composé notamment de chercheurs scientifiques, d’associations, de professionnels de santé, d’agences sanitaires, de syndicats et d’industriels. Générations Futures a activement participé aux travaux d’élaboration de cette deuxième stratégie.

Rappels : Les PE sont des substances chimiques étrangères à l’organisme qui altère le fonctionnement du système hormonal des êtres vivants. Ils peuvent avoir des effets néfastes sur la faune et la biodiversité, ainsi que sur la santé humaine en portant atteinte à nos organismes et celui de nos descendants.

La période fœtale, la petite enfance, ainsi que l’adolescence sont des périodes particulièrement sensibles. L’exposition prolongée à une ou plusieurs de ces substances peut engendrer la survenue d’un certain nombre de pathologies parmi lesquelles figurent des cancers hormono-dépendants, des troubles de l’appareil reproducteur, des troubles de la fertilité, des cas de puberté précoce, d’obésité et de diabète, des troubles cognitifs et comportementaux. Les PE sont présents dans un grand nombre de produits de consommation courante (alimentation, cosmétiques, produits ménagers, textiles, ameublements, plastiques, etc.). Ils peuvent aussi être présents dans les produits de traitement des cultures et certains médicaments.

En 2014, la France était le premier pays au monde à se doter d’une telle stratégie et afficher « comme objectif premier la réduction de l’exposition de la population et de l’environnement aux perturbateurs endocriniens ». Cet objectif, est renouvelé dans la SNPE2 qui s’intègre à la fois dans le cadre du quatrième plan national santé environnement (PNSE4) et celui du Pacte vert pour l’Europe (Green Deal) qui fixe comme objectif « zéro pollution » à l’horizon 2030.

SNPE2 : quel bilan à mi-parcours ?  

En juin dernier, les ministères de la Santé et de la Transition écologique ont publié le bilan à mi-parcours de la SNPE2. Rappelons que la SNPE2 s’articule autour de trois grands objectifs accompagnés d’un plan d’actions. A ce jour, 38 actions sur les 50 annoncées ont été lancées.

Voici un tour d’horizon des actions entreprises et en cours dans le cadre de la SNPE2.

Axe I – Former et informer

Cet axe vise à fournir aux citoyens et aux acteurs de la prévention les dernières connaissances scientifiques sur les PE dans le but de réduire son exposition. Les périodes de grandes vulnérabilité (petite enfance, puberté, grossesse), ainsi que certains milieux professionnels sont ciblés en priorité.

  • Récemment, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) a publié une liste de substances d’intérêt catégorisée (avérés, présumés ou suspectés) du fait de leur potentielle activité endocrine. Parmi une sélection de 906 substances, 16 ont été jugées prioritaires et seront évaluées de manière approfondie sur la base du danger, de l’exposition et des préoccupations sociétales qu’elles représentent. Retrouvez le détail des 16 substances dans notre article.  

L’objectif de l’Agence est de partager ce travail dévaluation avec ses partenaires européens afin d’obtenir rapidement une liste catégorisée des substances ayant une activité PE. Ces travaux permettront de renforcer le cadre réglementaire et d’effectuer des contrôles plus ciblés sur les produits de consommation courante (jouets destinés aux enfants de moins de trois ans notamment).

  • A compter du début de l’année 2021, l’Anses doit également renforcer son action d’expertise des substances PE et parvenir à évaluer 9 substances par an.

Le site internet – Endocrine Disruptor Lists – qui répertorie les listes des substances reconnues comme étant des PE dans la réglementation européenne sur les produits chimiques a été mis en ligne en juin 2020. Ce site vise à améliorer la transparence et la coopération entre les agences nationales et européennes (Agence européenne des produits chimiques – ECHA – et Autorité européenne de sécurité des aliments – EFSA -) afin de retirer rapidement du marché les substances les plus dangereuses et d’informer les populations. Le travail d’évaluation de l’Anses permettra d’enrichir ces listes.

  • En matière d’information des citoyens et en particulier des femmes enceintes, Santé publique France (SPF) a mis en ligne son site internet « Agir pour bébé » qui permet de sensibiliser les futurs et jeunes parents à la santé environnementale, et dans une certaine mesure, aux PE. Au cours de l’été 2021, une deuxième version du site (renommé 1000-premiers-jours.fr) sera mise en ligne afin d’informer sur la période de grande vulnérabilité des 1.000 premiers jours de la vie.
  • Les PE ont été ajoutés à la liste des informations environnementales devant être fournies aux consommateurs par les fabricants dans le cadre de la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire. Cette information se fera par voie numérique, ce que notre association déplore. Dans l’attente du retrait des PE du marché, une obligation d’étiquetage aurait été préférable. Retrouvez notre article pour plus d’informations sur ce sujet.
  • La SNPE2 prévoit de former les professionnels de santé et de la petite enfance, ainsi que les agents des collectivités territoriales, aux bonnes pratiques pour limiter l’exposition aux PE. Quelques minces avancées, parmi lesquelles figurent l’ouverture d’une formation en ligne pour les professionnels de santé sur les PE et les risques chimiques autour de la périnatalité par l’Ecole des hautes études en santé publique et la mise en place de consultations sur les risques liés aux facteurs environnementaux, dont les PE, dans certains centres hospitaliers. La formation des autres professionnels concernés (de la petite enfance, de l’agroalimentaire, de l’agronomie, de la chimie, agriculteurs, vétérinaires, ingénieurs sécurité, architectes, urbanistes), n’a semble-t-il pas encore été organisée.
  • De même que la sensibilisation des élèves dans le cadre d’actions éducatives de la promotion de la santé en milieu scolaire et d’activités pédagogiques. A ce jour, rien ne semble avoir été mis en œuvre.

 Axe II – Protéger l’environnement et la population

Cet axe vise à collecter davantage de données sur l’imprégnation des milieux par les PE et sur leur impact. Une meilleure connaissance des sources et causes des pollutions permet de mieux les éliminer et les traiter.

     Plusieurs études analysant la présence des PE dans l’air, l’eau, les sols, l’alimentation et           leur impact sont menées, notamment dans le cadre de la SNPE2.

  • L’air : l’Observatoire de la qualité de l’air intérieur (OQAI) va lancer sa 2e campagne nationale « logement » qui prendra en compte certains polluants émergents, tels que les PE. Le 20 juillet 2020, Atmo France avec les Associations agréées de surveillance de la qualité de l’air (AASQA) et l’Ineris ont lancé un suivi à vocation pérenne des pesticides dans l’air à l’échelle nationale (métropole et outre-mer). Les premières données seront disponibles à l’été 2022.
  • Les milieux aquatiques : la SNPE2 vise notamment une surveillance accrue des rejets des stations de traitement des eaux usées. L’Institut national de l’environnement industriel et des risques (Ineris) réalise actuellement un bilan des dernières campagnes de rejets de substances dangereuses dans l’eau et a notamment étudié le caractère PE des 96 substances recherchées durant ces campagnes.
  • Les sols : la présence de substances chimiques, parmi lesquelles des PE, est étudiée dans le cadre du Réseau de Mesure de la Qualité des Sols. Certaines substances telles que les composés perfluorés (PFAS) font l’objet d’une attention particulière. Le Bureau de Recherches Géologiques et Minières (BRGM) a par exemple publié en décembre 2020 un rapport faisant un état de l’art des connaissances de ces substances et de leur présence dans les sites et sols pollués.
  • L’alimentation : le cadre de la 3e Etude de l’Alimentation Totale menée par l’Anses sera élargi. Une évaluation du niveau de contamination des denrées alimentaires par 300 substances, parmi lesquelles de nombreux PE, sera menée. Une analyse du risque lié à l’exposition de la population à ces substances sera aussi menée. Les premières analyses débuteront à partir de septembre/octobre 2022 et les premiers résultats sont attendus à compter de 2023.
  • La biodiversité : des études, notamment lancées par l’OFB et l’Ineris ont été lancées afin de connaitre l’impact des PE sur la biodiversité. Des échanges ont été lancés entre plusieurs organismes (Ineris, Anses, OFB, BRGM, Ifremer, etc.) pour élaborer un inventaire de données sur l’imprégnation des divers milieux.
  • La SNPE 2 prévoit la création d’un espace commun facilitant l’accès aux données de santé environnement. La plateforme « Green Data for Health » est en phase de préfiguration.
  • La SNPE2 prévoit aussi d’harmoniser la réglementation européenne sur les PE qui s’applique aux objets du quotidien. Actuellement, les PE ne sont pris en compte qu’au sein des règlements européens sur les produits phytopharmaceutiques, biocides et REACH, qui prévoient des mesures d’interdiction et de restriction. Une définition commune des PE à tous les règlements européens et qui définit des catégories en fonction du niveau de preuve scientifique (comme c’est le cas pour les substances cancérogènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction) doit être adoptée. De même que l’interdiction de ces substances dans toutes les règlementations sectorielles, sauf pour des usages dits « essentiels » (la stratégie européenne sur les produits chimiques prévoit de définir précisément cette notion; les travaux ayant débuté au niveau européen sur ce sujet) est prévue. La France soutient ce travail qui sera notamment entrepris dans le cadre de la stratégie durable sur les produits chimiques adoptée par la Commission en octobre 2020.

Axe III – Améliorer les connaissances sur les PE

La SNPE2 prévoit de renforcer et d’accélérer la recherche pour mieux identifier les PE et mieux comprendre leurs modes d’action.

  • La recherche sur les perturbateurs endocriniens est portée au niveau national, notamment via le programme national de recherche environnement-santé-travail (PNREST) de l’Anses, mais aussi européen, notamment dans le cadre du projet PARC qui sera lancé en 2022 et qui vise à faire avancer la recherche, partager les connaissances et améliorer les compétences en évaluation des risques liés aux substances chimiques en Europe.
  • Des acteurs publics et privés ont créé la plateforme de recherche Pepper dont l’objectif est de réaliser une « prévalidation » des méthodes d’essai en toxicologie et écotoxicologie pour caractériser des propriétés PE. Cette plateforme permet d’accélérer la reconnaissance et la validation internationale des méthodes mises au point pour tester les activités PE et de mieux coordonner les travaux des réseaux existants.
  • La SNPE 2 prévoit de renforcer la surveillance des indicateurs de santé reproductive (le cancer de la prostate, le cancer du sein, la proportion de garçons/filles à la naissance (sex-ratio), l’endométriose, les fibromes utérins, les indicateurs du syndrome de dysgénésie testiculaire, la puberté précoce). Les données concernant ces indicateurs sont en cours de mise à jour et feront l’objet de publication jusqu’en 2022.
  • Sur la surveillance de l’imprégnation de la population aux contaminants de l’environnement (dont des PE), SPF va publier en 2021 les derniers résultats de l’étude Esteban et lancera un nouveau programme national de biosurveillance en 2022. L’agence participe également aux travaux européens de biosurveillance (HBM4EU et PARC).